Résistance et esclavage

« La révolte est le mouvement même de la vie et on ne peut la nier sans renoncer à vivre. » C’est Albert Camus qui parle, dans L’Homme révolté (1951). Se révolter, c’est donc survivre et être. Le degré zéro de la révolte serait l’état de zombie, un être transformé en robot humain, réduit à ses fonctions de travail et de soumission totale.

Total m’amène à totalitarisme. L’esclavage, comme certains systèmes totalitaires vise à faire de l’homme un zombie exploitable à volonté. L’exploitation durable en somme.

La longue durée des systèmes esclavagistes, dans leur entreprise de déshumanisation, ou de zombification, a aussi pour conséquence la permanence des révoltes. Si l’esclavage a inspiré une quantité innombrable d’essais, de romans et de manifestations, c’est un peu moins le cas pour les formes de résistance à l’esclavage. Pourtant la résistance accompagne « la société esclavocrate », comme on dit au Brésil, depuis les mutineries à bord des bateaux négriers jusqu’à la Révolution haïtienne, en passant par le marronnage, c’est-à-dire la fuite de l’esclave hors de l’espace des plantations coloniales où régnait l’agriculture de la mort. Le marronnage a ses lieux : quilombos du Brésil, palenques de l’Amérique espagnole, les mornes (montagnes) des Antilles françaises, de La Réunion et de la Jamaïque et les forêts du Surinam et de la Guyane. Le marronnage a sa galerie de héros encore beaucoup trop méconnus : Ventura Sanchez (Coba) à Cuba, Sebastian Lemba en République Dominicaine, Sam Sharpe et Cudjoe à la Jamaïque, Ganga Zumba et Zumbi dos Palmares au Brésil, Benkos Bioho en Colombie, Solitude en Guadeloupe, Ali Ben Mohammed en Irak, Cimandef à La Réunion. Certains se donnent la mort : Zumbi dos Palmares et Delgrès. Les révoltes d’esclaves prennent souvent la forme de véritable guerre ouverte, comme la Révolte des Zendj (869-883) en Iraq et la révolution haïtienne (1791-1804) incarnée par un quatuor illustre : Toussaint Louverture, Jean-Jacques Dessalines, Henri Christophe et Alexandre Pétion. D’autres, comme Toussaint Louverture sont capturés par trahison.

Les révoltés morts au combat sont en quelque sorte des martyrs de la résistance. Il convient d’honorer leur nom, pour éviter une mémoire de perdants. Cela pose aussi le problème de la construction des mémoires collectives ou nationales. Commémorer c’est reconstituer, restituer et reconstruire. C’est aussi nourrir la mémoire et l’assainir. Pour inventorier la mémoire, le travail des historiens et des anthropologues est précieux. Les écrivains s’en servent pour savoir quelle tranche de vie recréer ou quels personnages faire vivre. Selon les croyances haïtiennes l’absorption de sel par un zombie met fin à sa zombification. La révolte est le sel précieux de la liberté.

Rafael Luca (Afiavimag)

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